Germaine de Staël (1766-1817) occupe une place importante dans notre histoire littéraire et politique. Ses salons furent en particulier un centre d’opposition politique vigoureux à Napoléon et le rendez-vous immanquable des grandes figures littéraires et politiques de l’époque. Retraçons l’histoire de cette Parisienne insolente, féministe et douée d’une grande intelligence…
Germaine de Staël, une intellectuelle précoce
Germaine naquit à Paris en 1766. Ses parents, Suzanne et Jacques Necker sont des personnalités influentes de Paris. Jacques est un banquier protestant de Genève qui a fait fortune dans les affaires, tandis que Suzanne, suisse également, jouit d’une grande popularité du fait de ses actions en matière de charité (elle a ouvert un hôpital en 1782, aujourd’hui l’hôpital des enfants malades).
Les Necker mettent un point d’honneur à instruire leur fille dans la religion calviniste, tout en lui offrant une éducation fondée sur l’idée de “tolérance” et l’ouverture sur le monde. La jeune Germaine est ainsi élevée dans un milieu où le progrès des Lumières et la morale de la religion ne sont pas antinomiques ! Déjà à 15 ans, Germaine lit Rousseau, Montesquieu et fait preuve d’une grande curiosité pour l’actualité littéraire et philosophique.
Sa mère, la bienfaisante Suzanne Necker, est également une femme ouverte d’esprit, très intégrée à la haute-société parisienne et anime des salons mondains, au sein desquels s’exprime bien souvent une pensée audacieuse, anticonformiste et critique envers les pesanteurs du système politique monarchique. Surtout, en 1776, Jacques Necker est promu directeur général des finances (ministère des finances et de l’économie de l’époque). Se presse alors chez les Necker tout le gratin politique : des ministres, des diplomates… Ce qui est propice à l’émulation intellectuelle de la jeune Germaine, témoin privilégiée des arcanes du pouvoir.
Germaine de Staël et ses salons très politiques…
Agée seulement de 20 ans, Germaine se marie au baron de Staël Holstein, protestant comme elle et ambassadeur du roi de Suède à la cour de France. Malgré le fait que ce mariage ne soit pas un mariage d’amour, il lui permet néanmoins d’entrer le milieu très fermé de l’aristocratie.
Germaine de Staël profite de sa position nouvelle pour animer à son tour des salons littéraires et philosophiques, sur le modèle de ceux de sa mère. D’une sensibilité libérale, comme son père Jacques, Germaine invite dans ses salons la fine fleur de la philosophie de la seconde moitié du XVIIIe siècle (Condorcet notamment) et surtout des voyageurs et des partisans de la toute neuve nation des Etats-Unis d’Amérique (La Fayette, Clermont-Tonnerre), pays qui, depuis sa déclaration d’indépendance en 1776, s’est affirmé comme le symbole par excellence de la liberté politique.
Le salon de madame de Staël représente très vite le nec plus ultra de la mondanité parisienne, au sein duquel s’exprime une sociabilité, tout à la fois empreinte des codes de civilité aristocratiques et d’une certaine forme de liberté de ton, où l’on discute à peu près de tout : les salons sont les ferments d’une vraie contestation politique.
De la Révolution à l’Empire, la persécution de madame de StaëlÂ
Lorsque la Révolution française survient, Madame de Staël est d’abord enthousiaste et en partage les idéaux égalitaires et émancipateurs de la Constituante. A partir de 1793, quand la Révolution française se durcit avec la Terreur, et commence à réprimer les oppositions et à faire usage de la guillotine, madame de Staël se détourne de la Révolution. Elle part se réfugier à l’étranger, comme bon nombre d’aristocrates, et se livre à ses premiers écrits politiques. Ses Réflexions sur la paix intérieure (1793), sont ainsi teintées de pacifisme et d’un républicanisme modéré et libéral, progressiste mais pas anti-clérical. En 1796, elle publia un ouvrage moral et politique : De l’influence des Passions sur le bonheur des individus et des Nations, et, en 1799, écrivit, pour faire suite à ce livre, un ouvrage longtemps inédit : Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution. Outre ses écrits politiques, genre littéraire dont Madame de Staël était l’une des seules représentantes féminines, elle écrit également des tragédies et des romans fortement imprégnés du mouvement romantique, tout juste naissant.
Sous le Consulat (1799-1804) et l’Empire (1804-1814), madame de Staël devient la bête noire de Bonaparte. Ce dernier promeut en effet un régime autoritaire, pour « achever la révolution » et mettre fin à plus de 6 ans de guerre civile. Madame de Staël fait figure d’opposante à cette politique qu’elle estime belliqueuse, violente et servant uniquement les intérêts de son chef. Surtout, une première entrevue entre les deux personnalités, en 1798, se solde par un échec. Résolument féministe, madame de Staël aurait posé la question suivante à Bonaparte : « Général, quelle est pour vous la première des femmes ? — Celle qui fait le plus d’enfants, Madame » lui aurait-il répondu… Cet épisode est le début d’une longue animosité.
De plus, Napoléon n’aime pas les femmes influentes et voit, à raison, dans la personnalité de Germaine un sens aigu de la liberté et de l’indépendance. Bonaparte avait vu juste. Dès 1802, en effet, madame de Staël renoue avec les salons parisiens et devient l’égérie de la contestation anti-Bonaparte. Fréquenté par des gens brillants et haut-placés, le salon de l’hôtel de Salme (aujourd’hui dans le VIIe arrondissement) rassemble les opposants les plus virulents à Bonaparte et à ses tentatives (réussies) de coups d’Etat, en 1804.
Devenue le poil à gratter du régime impérial (1804-1814), l’écrivaine est censurée et même bientôt poussée à l’exil en Suisse, dans un château appartenant à son père…
Trois ans après la chute de l’Empire, Germaine de Staël revient dans son pays natal ayant à peine eu le temps d’achever ses Considérations sur la Révolution française, le plus remarquable de ses ouvrages politiques. La mort brutale de madame de Staël, à 51 ans, en 1817, arrête une Å“uvre inachevée sur le plan littéraire.
Femme de lettre, touche à tout et dotée d’un fort caractère, Germaine de Staël peut sans nul doute être rangée parmi les esprits les plus brillants de la fin du XVIIIe siècle. Elle est l’un des symboles les plus marquants du tournant romantique, de la fin du XVIIIe siècle, avec Chateaubriand. A l’instar de Benjamin Constant et d’Alexis de Tocqueville, les analyses de madame de Staël sur la Révolution française, le libéralisme politique, ou encore sur les dérives des régimes autoritaires ont fait date et figurent encore aujourd’hui dans le panthéon des ouvrages de théories politiques.
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