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Portrait : La Comtesse de Castiglione, entre génie et narcissisme

Aristocrate, espionne, courtisane…Toute sa vie, la Comtesse de Castiglione s’est incarnée dans différentes femmes. Surnommée « la plus belle femme du siècle » et experte dans l’art de se mettre en scène, elle s’est immortalisée sur des centaines de photographies, l’œuvre de sa vie.

L’enfance et le mariage en Italie

Virginia Oldoïni est née dans une famille d’aristocrates piémontais, le 22 mars 1837 à Florence. Surnommée « Nicchia » par sa famille, elle est gâtée et jugée parfaite par sa mère. Fille unique, elle grandit à La Spezia dans le luxe et l’opulence. Elle reçoit une éducation soignée où elle apprend à parler plusieurs langues. Dès ses 12 ans, elle possède sa propre loge à l’opéra et sa mère la présente dans toutes les soirées mondaines de la haute société piémontaise. Partout, elle est déjà admirée pour sa beauté et sa vivacité d’esprit, ce qui lui vaut le surnom de « La Perla d’Italia » (« La Perle d’Italie »). Brune au teint de porcelaine, elle rentre parfaitement dans les critères de beauté de son temps.

Parmi tous ses prétendants, le richissisime comte Francesco Verasis de Castiglione. Veuf, il commence à faire la cour à Virginia, qui n’a que 17 ans. Neuf mois plus tard, en janvier 1854, ils se marient en grande pompe à Florence. Elle ne l’aime pas, ni même l’apprécie, mais accepte de l’épouser pour sa fortune. Le comte est conscient de l’indifférence de sa fiancée, mais persiste dans son idée, par fierté d’avoir à son bras la plus belle femme d’Italie.

“Milan” par Pierson – Vers 1856

Le couple s’installe à Turin et Virginia recueille de nouveau tous les regards. Partout où elle va, on ne voit et ne parle que d’elle. Capricieuse, elle dépense sans compter l’argent de son mari, qui la laisse faire en espérant l’amadouer. Pourtant, la jeune comtesse lui fait de plus en plus de scènes et son caractère invivable commence à faire mettre à mal le couple.

Malgré tout, elle tombe rapidement enceinte mais vit sa grossesse comme un calvaire. Peu après avoir accouchée d’un petit Georgio, elle se sent libérée de son devoir d’épouse et se met à mener sa vie telle qu’elle l’entend. La Castiglione commence à fréquenter son ami d’enfance, l’officier Ambrogio Doria, qui devient son amant. C’est ensuite au tour du frère de ce dernier, Marcello. Son mari s’en irrite et les tensions ne font que croitre dans le couple.

Vie d’espionne, vie galante

A cette période, son cousin Camillo Cavour l’appelle à la cour du roi Victor-Emmanuel de Piémont-Sardaigne dont il est le ministre. Il a repéré le potentiel de sa cousine et compte bien le mettre à profit. Le roi et lui expose à la jeune comtesse de 18 ans leur projet : unifier l’Italie dans un seul royaume. Pour y parvenir, il leur faut un allier puissant : l’Empereur Napoléon III. Victor-Emmanuel (dont La Castiglione est devenue la maîtresse entre temps) et Cavour lui demandent de séduire l’Empereur et de plaider auprès de lui la cause de l’Italie. La comtesse, qui rêve de jouer un rôle diplomatique, accepte immédiatement et part pour Paris.

“Le Chignon” par Pierson – Vers 1857

Le comte et la comtesse de Castiglione s’installe à Parisrue de Castiglione (cela ne s’invente pas) près de la place Vendôme. De nouveau, Virginia fait parler d’elle et devient la coqueluche de haute société parisienne. Elle rencontre Napoléon III et entame sa stratégie de séduction. Celui-ci ne tarde pas à céder et ils deviennent amants fin juin 1856. Pendant ce temps, elle ne perd pas son objectif et lui répète constamment qu’il faut aider l’Italie.

Diva froide et narcissique

Rapidement, les courtisans se lassent de cette diva qui en fait toujours de trop. Narcissique, La Castiglione veut toujours être au centre de l’attention mais reste désagréable à tous. Lors des bals, elle refuse de danser, de peur de rougir son teint. Elle ne sourit pas, car cela déforme le visage selon elle.

Les robes et les coiffures qu’elle porte aux réceptions sont toujours plus extravagantes. C’est grâce à ses tenues qu’elle se met en scène et définit le rôle qu’elle veut incarner. L’une de ses robes est d’ailleurs passée à la postérité : un costume de Dame de cœur qu’elle porte lors d’un bal costumé à Compiègne. Sa robe est parsemée de cœurs, dont l’un est placé à l’entrejambe. Subtilement, l’Impératrice Eugénie de Montijo dira ce mot célèbre : « Le cœur est un peu trop bas »…

La comtesse de Castiglione en Dame de Cœur par Pierson – 1863

Mais la romance impériale de La Castiglione s’avère être de courte durée. L’Empereur se lasse de ce caractère impossible et elle tombe en disgrâce en 1857, après un an et demi de relation. Lors de leur dernière nuit ensemble à Compiègne, elle portera une chemise qu’elle gardera toute sa vie.

Le traité de réunification de l’Italie finit par être signé entre Napoléon III et Cavour. Même si elle n’est que peu liée à cette ratification, elle répètera partout que la naissance de l’Italie est de son fait.

Après la disgrâce, le couple Castiglione rentre à Turin, complètement ruiné par ce séjour à Paris. Virginia retrouve Victor-Emmanuel et ses autres amants. Dans un carnet, elle note les noms de ses conquêtes avec une lettre qui définit jusqu’où elle est allée avec eux : par exemple, B pour baiser ou un F barré si l’homme est devenu son amant. Même dans ses relations intimes, elle refuse de perdre le contrôle et elle entretient une sensualité froide et mécanique.

“L’Accoudée” par Pierson – 1861

Toute sa vie, et malgré ses nombreux amants, elle refusera de se donner corps et âme à un homme, à part un : Paul de Cassagnac, un journaliste bonapartiste. Elle le rencontre à 36 ans et entretient avec lui une relation sincère. Mais, chasser le naturel, il revient au galop : le caractère de la comtesse les rattrape et Cassagnac la quitte.

Pour les hommes, elle représente un idéal jamais atteint, la femme inaccessible. De son côté, elle se considère comme « La plus belle créature qui ait existé depuis le commencement du monde. » Chez elle, pas de problème d’estime de soi !

Génie de la photographie

Aujourd’hui, si l’on connait La Castiglione, c’est grâce aux centaines de photographies qu’elle a pris durant sa vie. Elle rencontre son photographe attitré, Pierre-Louis Pierson, par l’intermédiaire de Napoléon III. Au début, elle prend des photos très sages et conventionnelles, qui ressemblent aux tableaux de l’époque.

Après l’exil à Turin, elle revient en France en 1861 avec son fils et reprend le chemin de l’atelier de Pierson. Artistiquement, elle s’émancipe des codes. Elle découvre le pouvoir de l’image et commence à inventer des histoires par le biais de ses photographies. Elle est tour à tour héroïne antique, marquise de l’Ancien Régime, concubine orientale…Avec des costumes, des poses, des accessoires, elle met en scène une véritable histoire où le spectateur est à la fois complice et voyeur. Un jeu de connivence s’établit avec celui qui va regarder la photo. Tout passe par son regard : dur, froid, supérieur, morne même. Elle juge impitoyablement celui la regarde.

“Elvira” par Pierson – 1863

En 1863, elle est invitée à un bal aux Tuileries où elle arrive déguisée en reine d’Etrurie. Persuadée, comme à son habitude, d’avoir été la reine de la soirée, elle s’empresse le lendemain d’aller immortaliser sa tenue chez Pierson. Ce qu’elle ignore, c’est que sa tenue a fait scandale et qu’elle est la risée de la Cour. A cause des ragots, son mari resté en Italie la menace de récupérer son fils dont elle ne s’occupe guère, au demeurant. Pour répondre aux critiques et à son époux, elle prendra la célèbre photographie, La Vengance, où elle porte sa robe de reine d’Etrurie…un couteau à la main. Le message est clair.

“La Vengeance” par Pierson – 1863. Colorisée avec les techniques d’époque

Décrépitude et fin de vie

Mais le temps passe et la comtesse commence à se flétrir. Plusieurs coups durs viennent la miner moralement et physiquement : la fin du Second Empire, dont elle fut la reine, la mort de son mari, puis de son fils. Elle abandonne un temps la photographie.

En 1893, alors qu’elle a 56 ans, elle reprend brusquement ses séances de photographie. Ce que l’on voit à l’image fait peine à voir : la comtesse a vieilli, s’est empâtée, ses cheveux et ses dents se font rares. Il ne reste plus grand-chose de La Perla d’Italia. Curieusement, cela ne l’empêche pas de revêtir les robes de ses heures de gloires pour refaire les photos de sa jeunesse.

“Les Roses” par Pierson – 1895

Si elle s’expose en photo, c’est tout le contraire  dans sa vie quotidienne. Place Vendôme, elle habite un appartement aux multiples portes blindées. Véritable mausolée, l’appartement est meublé d’ébène, les murs sont tendus de noir, les draps sont en satin sombre. Misanthrope et alcoolique, la comtesse vit seule avec ses chiens. Ses derniers se soulagent même dans son lit sans qu’elle s’en préoccupe. Enfermée dans son délire narcissique, elle refuse de se montrer à ce monde qui la rejetée.

Ce n’est qu’à la tombée de la nuit qu’elle sort avec ses chiens de son taudis. Elle prend le chemin de la rue de Rivoli en prenant garde à ne croiser personne et se promène jusqu’à l’aube.

“Rachel” par Pierson – 1893

Elle meurt le 28 novembre 1899, avec le siècle qui fut le sien. Enterrée au Père Lachaise, elle aurait désiré un cercueil de verre avec ses chiens empaillés et portant sa chemise de la dernière nuit à Compiègne. Elle aurait également voulu une plaque sur laquelle aurait été inscrite : « Ici git la plus belle femme de son siècle ». Rien de tout ceci n’a été fait.

Aujourd’hui, La Castiglione est considérée comme une véritable artiste, qui s’est illustrée grâce à ses photographies qui mêlent modernisme et audace dans un siècle encore très traditionnel au niveau de la représentation picturale.

 

Virginie Paillard

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Photos : The Metropolitan Museum of Art 

 

 

 

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